Zum Hauptinhalt springen

Conclusion

»Hommes du XIXe siècle, l’heure de nos apparitions est fixée à jamais, et nous ramène toujours les mêmes.«

Auguste Blanqui: L’Eternité par les Astres.
Paris 1872, p. 74/75.

Pendant la Commune Blanqui était tenu prisonnier au fort du Taureau. C’est là qu’il écrivit son Eternité par les Astres. Ce livre parachève la constellation des fantasmagories du siècle par une dernière fantasmagorie, à caractère cosmique, qui implicitement comprend la critique la plus acerbe de toutes les autres. Les réflexions ingénues d’un autodidacte, qui forment la partie principale de cet écrit, ouvrent la voie à une spéculation qui inflige à l’élan révolutionnaire de l’auteur un cruel démenti. La conception de l’univers que Blanqui développe dans ce livre et dont il emprunte les données aux sciences naturelles mécanistes, s’avère être une vision d’enfer. C’est de plus le complément de cette société dont Blanqui vers la fin de sa vie a été obligé de reconnaître le triomphe sur lui-même. Ce que fait l’ironie de cet échafaudage, ironie cachée sans doute à l’auteur lui-même, c’est que le réquisitoire effrayant qu’il prononce contre la société, affecte la forme d’une soumission sans réserve aux résultats. Cet écrit présente l’idée du retour éternel des choses dix ans avant Zarathustra; de façon à peine moins pathétique, et avec une extrême puissance d’hallucination.

Elle n’a rien de triomphant, laisse bien plutôt un sentiment d’oppression. Blanqui s’y préoccupe de tracer une image du progrès qui, – antiquité immémoriale se pavanant dans un apparat de nouveauté dernière – se révèle comme étant la fantasmagorie de l’histoire elle-même. Voici le passage essentiel:

»L’univers tout entier est composé de systèmes stellaires. Pour les créer, la nature n’a que cent corps simples à sa disposition. Malgré le parti prodigieux qu’elle sait tirer de ces ressources et le chiffre incalculable de combinaisons qu’elles permettent à sa fécondité, le résultat est nécessairement un nombre fini, comme celui des éléments eux-mêmes, et pour remplir l’étendue, la nature doit répéter à l’infini chacune de ses combinaisons originales ou types. Tout astre, quel qu’il soit, existe donc en nombre infini dans le temps et dans l’espace, non pas seulement sous l’un de ses aspects, mais tel qu’il se trouve à chacune des secondes de sa durée, depuis la naissance jusqu’à la mort … La terre est l’un de ces astres. Tout être humain est donc éternel dans chacune des secondes de son existence. Ce que j’écris en ce moment dans un cachot du fort du Taureau, je l’ai écrit et je l’écrirai pendant l’éternité, sur une table, avec une plume, sous des habits, dans des circonstances toutes semblables. Ainsi de chacun … Le nombre de nos sosies est infini dans le temps et dans l’espace. En conscience, on ne peut guère exiger davantage. Ces sosies sont en chair et en os, voire en pantalon et paletot, en crinoline et en chignon. Ce ne sont point là des fantômes, c’est de l’actualité éternisée. Voici néanmoins un grand défaut: il n’y a pas progrès … Ce que nous appelons le progrès est claquemuré sur chaque terre, et s’évanouit avec elle. Toujours et partout, dans le camp terrestre, le même drame, le même décor, sur la même scène étroite, une humanité bruyante, infatuée de sa grandeur, se croyant l’univers et vivant dans sa prison comme dans une immensité, pour sombrer bientôt avec le globe qui a porté dans le plus profond dédain, le fardeau de son orgueil. Même monotonie, même immobilisme dans les astres étrangers. L’univers se répète sans fin et piaffe sur place. L’éternité joue imperturbablement dans l’infini les mêmes représentations.«

Cette résignation sans espoir, c’est le dernier mot du grand révolutionnaire. Le siècle n’a pas su répondre aux nouvelles virtualités techniques par un ordre social nouveau. C’est pourquoi le dernier mot est resté aux truchements égarants de l’ancien et du nouveau, qui sont au cœur de ces fantasmagories. Le monde dominé par ses fantasmagories, c’est – pour nous servir de l’expression de Baudelaire – la modernité. La vision de Blanqui fait entrer dans la modernité – dont les sept vieillards apparaissent comme les hérauts – l’univers tout entier. Finalement la nouveauté lui apparaît comme l’attribut de ce qui appartient au ban de la damnation. De même façon dans un vaudeville quelque peu antérieur: Ciel et Enfer les punitions de l’enfer font figure de dernière nouveauté de tout temps, de »peines éternelles et toujours nouvelles«. Les hommes du XIXème siècle auxquels Blanqui s’adresse comme à des apparitions sont issus de cette région.