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C. Louis-Philippe ou l’intérieur

I

»Je crois … à mon âme: la Chose.«

Léon Deubel: Œuvres. Paris 1929. p. 193.

Sous le règne de Louis-Philippe le particulier fait son entrée dans l’histoire. Pour le particulier les locaux d’habitation se trouvent pour la première fois en opposition avec les locaux de travail. Ceux-là viennent constituer l’intérieur; le bureau en est le complément. (De son côté il se distingue nettement du comptoir, qui par ses globes, ses cartes murales, ses balustrades, se présente comme une survivance de formes baroques antérieures à la pièce d’habitation.) Le particulier qui ne tient compte que des réalités dans son bureau demande à être entretenu dans ses illusions par son intérieur. Cette nécessité est d’autant plus pressante qu’il ne songe pas à greffer sur ses intérêts d’affaires une conscience claire de sa fonction sociale. Dans l’aménagement de son entourage privé il refoule ces deux préoccupations. De là dérivent les fantasmagories de l’intérieur; celui-ci représente pour le particulier l’univers. Il y assemble les régions lointaines et les souvenirs du passé. Son salon est une loge dans le théâtre du monde.

L’intérieur est l’asile où se réfugie l’art. Le collectionneur se trouve être le véritable occupant de l’intérieur. Il fait son affaire de l’idéalisation des objets. C’est à lui qu’incombe cette tâche sisyphéenne d’ôter aux choses, parce qu’il les possède, leur caractère de marchandise. Mais il ne saurait leur conférer que la valeur qu’elles ont pour l’amateur au lieu de la valeur d’usage. Le collectionneur se plaît à susciter un monde non seulement lointain et défunt mais en même temps meilleur; un monde où l’homme est aussi peu pourvu à vrai dire de ce dont il a besoin que dans le monde réel, mais où les choses sont libérées de la servitude d’être utiles.

II

»La tête …
Sur la table de nuit, comme une renoncule,
Repose.«

Baudelaire: Une martyre

L’intérieur n’est pas seulement l’univers du particulier, il est encore son étui. Depuis Louis-Philippe on rencontre dans le bourgeois cette tendance à se dédommager pour l’absence de trace de la vie privée dans la grande ville. Cette compensation il tente de la trouver entre les quatre murs de son appartement. Tout se passe comme s’il avait mis un point d’honneur à ne pas laisser se perdre les traces de ses objets d’usage et de ses accessoires. Sans se lasser il prend l’empreinte d’une foule d’objets; pour ses pantoufles et ses montres, ses couverts et ses parapluies, il imagine des housses et des étuis. Il a une préférence marquée pour le velours et la peluche qui conservent l’empreinte de tout contact. Dans le style du Second Empire l’appartement devient une sorte d’habitacle. Les vestiges de son habitant se moulent dans l’intérieur. De là naît le roman policier qui s’enquiert de ces vestiges et suit ces pistes. La Philosophie d’ameublement et les »nouvelles-détectives« d’Edgar Poë font de lui le premier physiognomiste de l’intérieur. Les criminels dans les premiers romans policiers ne sont ni des gentlemen ni des apaches, mais de simples particuliers de la bourgeoisie (Le Chat Noir, Le Cœur Révélateur, William Wilson).

III

»Dies Suchen nach meinem Heim … war meine Heimsuchung … Wo ist – mein Heim? Darnach frage und suche und suchte ich, das fand ich nicht.«

Nietzsche: Also sprach Zarathustra

La liquidation de l’intérieur eut lieu dans les derniers lustres du siècle par le »modern style«, mais elle était préparée de longue date. L’art de l’intérieur était un art de genre. Le »modern style« sonne le glas du genre. Il s’éléve contre l’infatuation du genre au nom d’un mal du siècle, d’une aspiration aux bras toujours ouverts. Le »modern style« fait entrer pour la première fois en ligne de compte certaines formes tectoniques. Il s’efforce en même temps de les détacher de leurs rapports fonctionnels et de les présenter comme des constantes naturelles: il s’efforce en somme de les styliser. Les nouveaux éléments de la construction en fer et en particulier la forme »support« retiennent l’attention du »modern style«. Dans le domaine de l’ornementation il cherche à intégrer ces formes à l’art. Le béton met à sa disposition de nouvelles virtualités en architecture. Chez Van de Velde la maison se présente comme l’expression plastique de la personnalité. Le motif ornemental joue dans cette maison le rôle de la signature sous un tableau. Il se complaît à parler un langage linéaire à caractère médiumnique où la fleur, symbole de la vie végétative, s’insinue dans les lignes mêmes de la construction. (La ligne courbe du »modern style« fait son apparition dès le titre des Fleurs du Mal. Une sorte de guirlande marque le lien des Fleurs du Mal, en passant par les »âmes des fleurs« d’Odilon Redon, au »faire catleya« de Swann). – Ainsi que Fourier l’avait prévu, c’est de plus en plus dans les bureaux et les centres d’affaires qu’il faut chercher le véritable cadre de la vie du citoyen. Le cadre fictif de sa vie se constitue dans la maison privée. C’est ainsi que L’architecte Solness fait le compte du »modern style«; l’essai de l’individu de se mesurer avec la technique en s’appuyant sur son essor intime le mène à sa perte: l’architecte Solness se tue en tombant du haut de sa tour.