- J. K. Huysmans
- Deutsch von M. Capsius
Chapitre XIV
Cahin-caha, quelques jours s’écoulèrent, grâce à des ruses qui réussirent à leurrer la défiance de l’estomac, mais un matin, les marinades qui masquaient l’odeur de graisse et le fumet de sang des viandes ne furent plus acceptées et des Esseintes anxieux, se demanda si sa faiblesse déjà grande, n’allait pas s’accroître et l’obliger à garder le lit. Une lueur jaillit soudain dans sa détresse; il se rappela que l’un de ses amis, jadis bien malade, était parvenu, à l’aide d’un sustenteur, à enrayer l’anémie, à maintenir le dépérissement, à conserver son peu de force.
Il dépêcha son domestique à Paris, à la recherche de ce précieux instrument et, d’après le prospectus que le fabricant y joignit, il enseigna lui-même à la cuisinière la façon de couper le rosbif en petits morceaux, de le jeter à sec, dans cette marmite d’étain, avec une tranche de poireau et de carotte, puis de visser le couvercle et de mettre le tout bouillir, au bain-marie, pendant quatre heures.
Au bout de ce temps, on pressait les filaments et l’on buvait une cuillerée du jus bourbeux et salé, déposé au fond de la marmite. Alors, on sentait comme une tiède moelle, comme une caresse veloutée, descendre.
Cette essence de nourriture arrêtait les tiraillements et les nausées du vide, incitait même l’estomac qui ne se refusait pas à accepter quelques cuillerées de soupe.
Grâce à ce sustenteur, la névrose stationna, et des Esseintes se dit: — C’est toujours autant de gagné; peut-être que la température changera, que le ciel versera un peu de cendre sur cet exécrable soleil qui m’épuise, et que j’atteindrai ainsi, sans trop d’encombre, les premiers brouillards et les premiers froids.
Dans cet engourdissement, dans cet ennui désoeuvré où il plongeait, sa bibliothèque dont le rangement demeurait inachevé, l’agaça; ne bougeant plus de son fauteuil, il avait constamment sous les yeux ses livres profanes, posés de guingois sur les tablettes, empiétant les uns sur les autres, s’étayant entre eux ou gisant de même que des capucins de cartes, sur le flanc, à plat; ce désordre le choqua d’autant plus qu’il contrastait avec le parfait équilibre des oeuvres religieuses, soigneusement alignées à la parade, le long des murs.
Il tenta de faire cesser cette confusion, mais après dix minutes de travail, des sueurs l’inondèrent; cet effort l’épuisait; il fut s’étendre, brisé, sur un divan, et il sonna son domestique.
Sur ses indications, le vieillard se mit à l’oeuvre, lui apportant, un à un, les livres qu’il examinait et dont il désignait la place.
Cette besogne fut de courte durée, car la bibliothèque de des Esseintes ne renfermait qu’un nombre singulièrement restreint d’oeuvres laïques, contemporaines.
À force de les avoir passées, dans son cerveau, comme on passe des bandes de métal dans une filière d’acier d’où elles sortent ténues, légères, presque réduites en d’imperceptibles fils, il avait fini par ne plus posséder de livres qui résistassent à un tel traitement et fussent assez solidement trempés pour supporter le nouveau laminoir d’une lecture; à avoir ainsi voulu raffiner, il avait restreint et presque stérilisé toute jouissance, en accentuant encore l’irrémédiable conflit qui existait entre ses idées et celles du monde où le hasard l’avait fait naître. Il était arrivé maintenant à ce résultat, qu’il ne pouvait plus découvrir un écrit qui contentât ses secrets désirs; et même son admiration se détachait des volumes qui avaient certainement contribué à lui aiguiser l’esprit, à le rendre aussi soupçonneux et aussi subtil.
En art, ses idées étaient pourtant parties d’un point de vue simple; pour lui, les écoles n’existaient point; seul le tempérament de l’écrivain importait; seul le travail de sa cervelle intéressait, quel que fût le sujet qu’il abordât. Malheureusement, cette vérité d’appréciation, digne de La Palisse, était à peu près inapplicable, par ce simple motif que, tout en désirant se dégager des préjugés, s’abstenir de toute passion, chacun va de préférence aux oeuvres qui correspondent le plus intimement à son propre tempérament et finit par reléguer en arrière toutes les autres.
Ce travail de sélection s’était lentement opéré en lui; il avait naguère adoré le grand Balzac, mais en même temps que son organisme s’était déséquilibré, que ses nerfs avaient pris le dessus, ses inclinations s’étaient modifiées et ses admirations avaient changé. Bientôt même, et quoiqu’il se rendît compte de son injustice envers le prodigieux auteur de La Comédie humaine, il en était venu à ne plus ouvrir ses livres dont l’art valide le froissait; d’autres aspirations l’agitaient maintenant, qui devenaient, en quelque sorte, indéfinissables.
En se sondant bien, néanmoins, il comprenait d’abord que, pour l’attirer, une oeuvre devait revêtir ce caractère d’étrangeté que réclamait Edgar Poe, mais il s’aventurait volontiers plus loin, sur cette route et appelait des flores byzantines de cervelle et des déliquescences compliquées de langue; il souhaitait une indécision troublante sur laquelle il pût rêver, jusqu’à ce qu’il la fit, à sa volonté, plus vague ou plus ferme selon l’état momentané de son âme. Il voulait, en somme, une oeuvre d’art et pour ce qu’elle était par elle-même et pour ce qu’elle pouvait permettre de lui prêter, il voulait aller avec elle, grâce à elle, comme soutenu par un adjuvant, comme porté par un véhicule, dans une sphère où les sensations sublimées lui imprimeraient une commotion inattendue et dont il chercherait longtemps et même vainement à analyser les causes.
Enfin, depuis son départ de Paris, il s’éloignait, de plus en plus, de la réalité et surtout du monde contemporain qu’il tenait en une croissante horreur; cette haine avait forcément agi sur ses goûts littéraires et artistiques, et il se détournait le plus possible des tableaux et des livres dont les sujets délimités se reléguaient dans la vie moderne.
Aussi, perdant la faculté d’admirer indifféremment la beauté sous quelque forme qu’elle se présente, préférait-il, chez Flaubert, La Tentation de saint Antoine à L’Éducation sentimentale; chez de Goncourt, La Faustin à Germinie Lacerteux; chez Zola, La Faute de l’abbé Mouret à L’Assommoir.
Ce point de vue lui paraissait logique; ces oeuvres moins immédiates, mais aussi vibrantes, aussi humaines, le faisaient pénétrer plus loin dans le tréfonds du tempérament de ces maîtres qui livraient avec un plus sincère abandon les élans les plus mystérieux de leur être, et elles l’enlevaient, lui aussi, plus haut que les autres, hors de cette vie triviale dont il était si las.
Puis il entrait, avec elles, en complète communion d’idées avec les écrivains qui les avaient conçues, parce qu’ils s’étaient alors trouvés dans une situation d’esprit analogue à la sienne.
En effet, lorsque l’époque où un homme de talent est obligé de vivre, est plate et bête, l’artiste est, à son insu même, hanté par la nostalgie d’un autre siècle.
Ne pouvant s’harmoniser qu’à de rares intervalles avec le milieu où il évolue; ne découvrant plus dans l’examen de ce milieu et des créatures qui le subissent, des jouissances d’observation et d’analyse suffisantes à le distraire, il sent sourdre et éclore en lui de particuliers phénomènes. De confus désirs de migration se lèvent qui se débrouillent dans la réflexion et dans l’étude. Les instincts, les sensations, les penchants légués par l’hérédité se réveillent, se déterminent, s’imposent avec une impérieuse assurance. Il se rappelle des souvenirs d’êtres et de choses qu’il n’a pas personnellement connus, et il vient un moment où il s’évade violemment du pénitencier de son siècle et rôde, en toute liberté, dans une autre époque avec laquelle, par une dernière illusion, il lui semble qu’il eût été mieux en accord.
Chez les uns, c’est un retour aux âges consommés, aux civilisations disparues, aux temps morts; chez les autres, c’est un élancement vers le fantastique et vers le rêve, c’est une vision plus ou moins intense d’un temps à éclore dont l’image reproduit, sans qu’il le sache, par un effet d’atavisme, celle des époques révolues.
Chez Flaubert, c’étaient des tableaux solennels et immenses, des pompes grandioses dans le cadre barbare et splendide desquels gravitaient des créatures palpitantes et délicates, mystérieuses et hautaines, des femmes pourvues, dans la perfection de leur beauté, d’âmes en souffrance, au fond desquelles il discernait d’affreux détraquements, de folles aspirations, désolées qu’elles étaient déjà par la menaçante médiocrité des plaisirs qui pouvaient naître.
Tout le tempérament du grand artiste éclatait en ces incomparables pages de La Tentation de saint Antoine et de Salammbô où, loin de notre vie mesquine, il évoquait les éclats asiatiques des vieux âges, leurs éjaculations et leurs abattements mystiques, leurs démences oisives, leurs férocités commandées par ce lourd ennui qui découle, avant même qu’on les ait épuisées, de l’opulence et de la prière.
Chez de Goncourt, c’était la nostalgie du siècle précédent, un retour vers les élégances d’une société à jamais perdue. Le gigantesque décor des mers battant les môles, des déserts se déroulant à perte de vue sous de torrides firmaments, n’existait pas dans son oeuvre nostalgique qui se confinait, près d’un parc aulique, dans un boudoir attiédi par les voluptueux effluves d’une femme au sourire fatigué, à la moue perverse, aux prunelles irrésignées et pensives. L’âme dont il animait ses personnages, n’était plus cette âme insufflée par Flaubert à ses créatures, cette âme révoltée d’avance par l’inexorable certitude qu’aucun bonheur nouveau n’était possible; c’était une âme révoltée après coup, par l’expérience, de tous les inutiles efforts qu’elle avait tentés pour inventer des liaisons spirituelles plus inédites et pour remédier à cette immémoriale jouissance qui se répercute, de siècles en siècles, dans l’assouvissement plus ou moins ingénieux des couples.
Bien qu’elle vécût parmi nous et qu’elle fût bien et de vie et de corps de notre temps, la Faustin était, par les influences ancestrales, une créature du siècle passé, dont elle avait les épices d’âme, la lassitude cérébrale, l’excèdement sensuel.
Ce livre d’Edmond de Goncourt était l’un des volumes les plus caressés par des Esseintes; et, en effet, cette suggestion au rêve qu’il réclamait, débordait de cette oeuvre où sous la ligne écrite, perçait une autre ligne visible à l’esprit seul, indiquée par un qualificatif qui ouvrait des échappées de passion, par une réticence qui laissait deviner des infinis d’âme qu’aucun idiome n’eût pu combler; puis, ce n’était plus la langue de Flaubert, cette langue d’une inimitable magnificence, c’était un style perspicace et morbide, nerveux et retors, diligent à noter l’impalpable impression qui frappe les sens et détermine la sensation, un style expert à moduler les nuances compliquées d’une époque qui était par elle-même singulièrement complexe. En somme, c’était le verbe indispensable aux civilisations décrépites qui, pour l’expression de leurs besoins, exigent, à quelque âge qu’elles se produisent, des acceptions, des tournures, des fontes nouvelles et de phrases et de mots.
À Rome, le paganisme mourant avait modifié sa prosodie, transmué sa langue, avec Ausone, avec Claudien, avec Rutilius dont le style attentif et scrupuleux, capiteux et sonnant, présentait, surtout dans ses parties descriptives de reflets, d’ombres, de nuances, une nécessaire analogie avec le style des de Goncourt.
À Paris, un fait unique dans l’histoire littéraire s’était produit; cette société agonisante du XVIIIe siècle, qui avait eu des peintres, des sculpteurs, des musiciens, des architectes, pénétrés de ses goûts, imbus de ses doctrines, n’avait pu façonner un réel écrivain qui rendît ses élégances moribondes, qui exprimât le suc de ses joies fébriles, si durement expiées; il avait fallu attendre l’arrivée de de Goncourt, dont le tempérament était fait de souvenirs, de regrets avivés encore par le douloureux spectacle de la misère intellectuelle et des basses aspirations de son temps, pour Que, non seulement dans ses livres d’histoire, mais encore dans une oeuvre nostalgique comme La Faustin, il pût ressusciter l’âme même de cette époque, incarner ses nerveuses délicatesses dans cette actrice, si tourmentée à se presser le coeur et à s’exacerber le cerveau, afin de savourer jusqu’à l’épuisement, les douloureux révulsifs de l’amour et de l’art!
Chez Zola, la nostalgie des au-delà était différente. Il n’y avait en lui aucun désir de migration vers les régimes disparus, vers les univers égarés dans la nuit des temps; son tempérament, puissant, solide, épris des luxuriances de la vie, des forces sanguines, des santés morales, le détournait des grâces artificielles et des chloroses fardées du dernier siècle, ainsi que de la solennité hiératique, de la férocité brutale et des rêves efféminés et ambigus du vieil Orient. Le jour où, lui aussi, il avait été obsédé par cette nostalgie, par ce besoin qui est en somme la poésie même, de fuir loin de ce monde contemporain qu’il étudiait, il s’était rué dans une idéale campagne, où la sève bouillait au plein soleil; il avait songé à de fantastiques ruts de ciel, à de longues pâmoisons de terre, à de fécondantes pluies de pollen tombant dans les organes haletants des fleurs: il avait abouti à un panthéisme gigantesque, avait, à son insu peut-être, créé, avec ce milieu édénique où il plaçait son Adam et son Eve, un prodigieux poème hindou, célébrant en un style dont les larges teintes, plaquées à cru, avaient comme un bizarre éclat de peinture indienne, l’hymne de la chair, la matière, animée, vivante, révélant par sa fureur de génération, à la créature humaine, le fruit défendu de l’amour, ses suffocations, ses caresses instinctives, ses naturelles poses.
Avec Baudelaire, ces trois maîtres étaient, dans la littérature française, moderne et profane, ceux qui avaient le mieux interné et le mieux pétri l’esprit de des Esseintes, mais à force de les relire, de s’être saturé de leurs oeuvres, de les savoir, par coeur, tout entières, il avait dû, afin de les pouvoir absorber encore, s’efforcer de les oublier et les laisser pendant quelque temps sur ses rayons, au repos.
Aussi les ouvrait-il à peine, maintenant que le domestique les lui tendait. Il se bornait à indiquer la place qu’elles devaient occuper, veillant à ce qu’elles fussent classées, en bon ordre, et à l’aise.
Le domestique lui apporta une nouvelle série de livres; ceux-là l’opprimèrent davantage; c’étaient des livres vers lesquels son inclination s’était peu à peu portée, des livres qui le délassaient de la perfection des écrivains de plus vaste encolure, par leurs défauts mêmes; ici, encore, à avoir voulu raffiner, des Esseintes était arrivé à chercher parmi de troubles pages des phrases dégageant une sorte d’électricité qui le faisait tressaillir alors qu’elles déchargeaient leur fluide dans un milieu qui paraissait tout d’abord réfractaire.
L’imperfection même lui plaisait, pourvu qu’elle ne fût, ni parasite, ni servile, et peut-être y avait-il une dose de vérité dans sa théorie que l’écrivain subalterne de la décadence, que l’écrivain encore personnel mais incomplet, alambique un baume plus irritant, plus apéritif, plus acide, que l’artiste de la même époque qui est vraiment grand, vraiment parfait. À son avis, c’était parmi leurs turbulentes ébauches que l’on apercevait les exaltations de la sensibilité les plus suraiguës, les caprices de la psychologie les plus morbides, les dépravations les plus outrées de la langue sommée dans ses derniers refus de contenir, d’enrober les sels effervescents des sensations et des idées.
Aussi, forcément, après les maîtres, s’adressait-il à quelques écrivains que lui rendait encore plus propices et plus chers, le mépris dans lequel les tenait un public incapable de les comprendre.
L’un d’eux, Paul Verlaine, avait jadis débuté par un volume de vers, les Poèmes Saturniens, un volume presque débile, où se coudoyaient des pastiches de Leconte de Lisle et des exercices de rhétorique romantique, mais où filtrait déjà, au travers de certaines pièces, telles que le sonnet intitulé „Rêve familier“, la réelle personnalité du poète.
À chercher ses antécédents, des Esseintes retrouvait sous les incertitudes des esquisses, un talent déjà profondément imbibé de Baudelaire, dont l’influence s’était plus tard mieux accentuée sans que néanmoins la sportule consentie par l’indéfectible maître, fût flagrante.
Puis, d’aucuns de ses livres, La Bonne Chanson, Les Fêtes galantes, Romances sans paroles, enfin son dernier volume, Sagesse, renfermaient des poèmes où l’écrivain original se révélait, tranchant sur la multitude de ses confrères.
Muni de rimes obtenues par des temps de verbes, quelquefois même par de longs adverbes précédés d’un monosyllabe d’où ils tombaient comme du rebord d’une pierre, en une cascade pesante d’eau, son vers, coupé par d’invraisemblables césures, devenait souvent singulièrement abstrus, avec ses ellipses audacieuses et ses étranges incorrections qui n’étaient point cependant sans grâce.
Maniant mieux que pas un la métrique, il avait tenté de rajeunir les poèmes à forme fixe: le sonnet qu’il retournait, la queue en l’air, de même que certains poissons japonais en terre polychrome qui posent sur leur socle, les ouïes en bas; ou bien il le dépravait, en n’accouplant que des rimes masculines pour lesquelles il semblait éprouver une affection; il avait également et souvent usé d’une forme bizarre, d’une strophe de trois vers dont le médian restait privé de rime, et d’un tercet, monorime, suivi d’un unique vers, jeté en guise de refrain et se faisant écho avec lui-même tels que les streets: „Dansons la Gigue“; il avait employé d’autres rythmes encore où le timbre presque effacé ne s’entendait plus que dans des strophes lointaines, comme un son éteint de cloche.
Mais sa personnalité résidait surtout en ceci: qu’il avait pu exprimer de vagues et délicieuses confidences, à mi-voix, au crépuscule. Seul, il avait pu laisser deviner certains au-delà troublants d’âme, des chuchotements si bas de pensées, des aveux si murmurés, si interrompus, que l’oreille qui les percevait, demeurait hésitante, coulant à l’âme des langueurs avivées par le mystère de ce souffle plus deviné que senti. Tout l’accent de Verlaine était dans ces adorables vers des Fêtes galantes:
Le soir tombait, un soir équivoque d’automne,
Les belles se pendant rêveuses à nos bras,
Dirent alors des mots si spécieux tout bas,
Que notre âme depuis ce temps tremble et s’étonne.
Ce n’était plus l’horizon immense ouvert par les inoubliables portes de Baudelaire, c’était, sous un clair de lune, une fente entrebâillée sur un champ plus restreint et plus intime, en somme particulier à l’auteur qui avait, du reste, en ces vers dont des Esseintes était friand, formulé son système poétique:
Car nous voulons la nuance encore,
Pas la couleur, rien que la nuance
. . . . . . . . . . . . . . . . . .
Et tout le reste est littérature.
Volontiers, des Esseintes l’avait accompagné dans ses oeuvres les plus diverses. Après ses Romances sans paroles parues dans l’imprimerie d’un journal à Sens, Verlaine s’était assez longuement tu, puis en des vers charmants où passait l’accent doux et transi de Villon, il avait reparu, chantant la Vierge, „loin de nos jours d’esprit charnel, et de chair triste“. Des Esseintes relisait souvent ce livre de Sagesse et se suggérait devant ses poèmes des rêveries clandestines, des fictions d’un amour occulte pour une Madone byzantine qui se muait, à un certain moment, en une Cydalise égarée dans notre siècle, et si mystérieuse et si troublante, qu’on ne pouvait savoir si elle aspirait à des dépravations tellement monstrueuses qu’elles deviendraient, aussitôt accomplies, irrésistibles; ou bien, si elle s’élançait, elle-même, dans le rêve, dans un rêve immaculé, où l’adoration de l’âme flotterait autour d’elle, à l’état continuellement inavoué, continuellement pur.
D’autres poètes l’incitaient encore à se confier à eux: Tristan Corbière, qui, en 1873, dans l’indifférence générale, avait lancé un volume des plus excentriques, intitulé: Les Amours jaunes. Des Esseintes qui, en haine du banal et du commun, eût accepté les folies les plus appuyées, les extravagances les plus baroques, vivait de légères heures avec ce livre où le cocasse se mêlait à une énergie désordonnée, où des vers déconcertants éclataient dans des poèmes d’une parfaite obscurité, telles que les litanies du Sommeil, qu’il qualifiait, à un certain moment, d’
Obscène confesseur des dévotes mort-nées.
C’était à peine français, l’auteur parlait nègre, procédait par un langage de télégramme, abusait des suppressions de verbes, affectait une gouaillerie, se livrait à des quolibets de commis-voyageur insupportable, puis tout à coup, dans ce fouillis, se tortillaient des concetti falots, des minauderies interlopes, et soudain jaillissait un cri de douleur aiguë, comme une corde de violoncelle qui se brise. Avec cela, dans ce style rocailleux, sec, décharné à plaisir, hérissé de vocables inusités, de néologismes inattendus, fulguraient des trouvailles d’expression, des vers nomades amputés de leur rime, superbes; enfin, en sus de ses Poèmes parisiens où des Esseintes relevait cette profonde définition de la femme:
Éternel féminin de l’éternel jocrisse,
Tristan Corbière avait, en un style d’une concision presque puissante, célébré la mer de Bretagne, les sérails marins, le Pardon de Sainte-Anne, et il s’était même élevé jusqu’à l’éloquence de la haine, dans l’insulte dont il abreuvait, à propos du camp de Gonlie, les individus qu’il désignait sous le nom de „forains du Quatre-Septembre“.
Ce faisandage dont il était gourmand et que lui présentait ce poète, aux épithètes crispées, aux beautés qui demeuraient toujours à l’état un peu suspect, des Esseintes le retrouvait encore dans un autre poète, Théodore Hannon, un élève de Baudelaire et de Gautier, mû par un sens très spécial des élégances recherchées et des joies factices.
À l’encontre de Verlaine qui dérivait, sans croisement, de Baudelaire, surtout par le côté psychologique, par la nuance captieuse de la pensée, par la docte quintessence du sentiment, Théodore Hannon descendait du maître, surtout par le côté plastique, par la vision extérieure des êtres et des choses.
Sa corruption charmante correspondait fatalement aux penchants de des Esseintes qui, par les jours de brume, par les jours de pluie, s’enfermait dans le retrait imaginé par ce poète et se grisait les yeux avec les chatoiements de ses étoffes, avec les incandescences de ses pierres, avec ses somptuosités, exclusivement matérielles, qui concouraient aux incitations cérébrales et montaient comme une poudre de cantharide dans un nuage de tiède encens vers une Idole Bruxelloise, au visage fardé, au ventre tanné par des parfums.
À l’exception de ces poètes et de Stéphane Mallarmé qu’il enjoignit à son domestique de mettre de côté, pour le classer à part, des Esseintes n’était que bien faiblement attiré par les poètes.
En dépit de sa forme magnifique, en dépit de l’imposante allure de ses vers qui se dressaient avec un tel éclat que les hexamètres d’Hugo même semblaient, en comparaison, mornes et sourds, Leconte de Lisle ne pouvait plus maintenant le satisfaire. L’antiquité si merveilleusement ressuscitée par Flaubert, restait entre ses mains immobile et froide. Rien ne palpitait dans ses vers tout en façade que n’étayait, la plupart du temps, aucune idée; rien ne vivait dans ces poèmes déserts dont les impassibles mythologies finissaient par le glacer. D’autre part, après l’avoir longtemps choyée, des Esseintes arrivait aussi à se désintéresser de l’oeuvre de Gautier; son admiration pour l’incomparable peintre qu’était cet homme, était allée en se dissolvant de jours en jours, et maintenant il demeurait plus étonné que ravi, par ses descriptions en quelque sorte indifférentes. L’impression des objets s’était fixée sur son oeil si perceptif, mais elle s’y était localisée, n’avait pas pénétré plus avant dans sa cervelle et dans sa chair; de même qu’un prodigieux réflecteur, il s’était constamment borné à réverbérer, avec une impersonnelle netteté, des alentours.
Certes, des Esseintes aimait encore les oeuvres de ces deux poètes, ainsi qu’il aimait les pierres rares, les matières précieuses et mortes, mais aucune des variations de ces parfaits instrumentistes ne pouvait plus l’extasier, car aucune n’était ductile au rêve, aucune n’ouvrait, pour lui du moins, l’une de ces vivantes échappées qui lui permettaient d’accélérer le vol lent des heures.
Il sortait de leurs livres à jeun, et il en était de même de ceux d’Hugo; le côté Orient et patriarche était trop convenu, trop vide, pour le retenir; et le côté tout à la fois bonne d’enfant et grand-père, l’exaspérait; il lui fallait arriver aux Chansons des rues et des bois pour hennir devant l’impeccable jonglerie de sa métrique, mais combien, en fin de compte, il eût échangé tous ces tours de force pour une nouvelle oeuvre de Baudelaire qui fût l’égale de l’ancienne, car décidément celui-là était à peu près le seul dont les vers continssent, sous leur splendide écorce, une balsamique et nutritive moelle!
En sautant d’un extrême à l’autre, de la forme privée d’idées, aux idées privées de forme, des Esseintes demeurait non moins circonspect et non moins froid. Les labyrinthes psychologiques de Stendhal, les détours analytiques de Duranty le séduisaient, mais leur langue administrative, incolore, aride, leur prose en location, tout au plus bonne pour l’ignoble industrie du théâtre, le repoussait. Puis les intéressants travaux de leurs astucieux démontages s’exerçaient, pour tout dire, sur des cervelles agitées par des passions qui ne l’émouvaient plus. Il se souciait peu des affections générales, des associations d’idées communes, maintenant que la rétention de son esprit s’exagérait et qu’il n’admettait plus que les sensations superfines et que les tourmentes catholiques et sensuelles.
Afin de jouir d’une oeuvre qui joignît, suivant ses voeux, à un style incisif, une analyse pénétrante et féline, il lui fallait arriver au maître de l’Induction, à ce profond et étrange Edgar Poe, pour lequel, depuis le temps qu’il le relisait sa dilection n’avait pu déchoir.
Plus que tout autre, celui-là peut-être répondait par d’intimes affinités aux postulations méditatives de des Esseintes.
Si Baudelaire avait déchiffré dans les hiéroglyphes de l’âme le retour d’âge des sentiments et des idées, lui avait, dans la voie de la psychologie morbide, plus particulièrement scruté le domaine de la volonté.
En littérature, il avait, le premier, sous ce titre emblématique: „Le démon de la Perversité“, épié ces impulsions irrésistibles que la volonté subit sans les connaître et que la pathologie cérébrale explique maintenant d’une façon à peu près sûre; le premier aussi, il avait sinon signalé, du moins divulgué l’influence dépressive de la peur qui agit sur la volonté, de même que les anesthésiques qui paralysent la sensibilité et que le curare qui anéantit les éléments nerveux moteurs; c’était sur ce point, sur cette léthargie de la volonté, qu’il avait fait converger ses études, analysant les effets de ce poison moral, indiquant les symptômes de sa marche, les troubles commençant avec l’anxiété, se continuant par l’angoisse, éclatant enfin dans la terreur qui stupéfie les volitions, sans que l’intelligence, bien qu’ébranlée, fléchisse.
La mort dont tous les dramaturges avaient tant abusé, il l’avait, en quelque sorte, aiguisée, rendue autre, en y introduisant un élément algébrique et surhumain; mais c’était, à vrai dire, moins l’agonie réelle du moribond qu’il décrivait, que l’agonie morale du survivant hanté, devant le lamentable lit, par les monstrueuses hallucinations qu’engendrent la douleur et la fatigue. Avec une fascination atroce, il s’appesantissait sur les actes de l’épouvante, sur les craquements de la volonté, les raisonnait froidement, serrant peu à peu la gorge du lecteur, suffoqué, pantelant devant ces cauchemars mécaniquement agencés de fièvre chaude.
Convulsées par d’héréditaires névroses, affolées par des chorées morales, ses créatures ne vivaient que par les nerfs; ses femmes, les Morella, les Ligeia, possédaient une érudition immense, trempée dans les brumes de la philosophie allemande et dans les mystères cabalistiques du vieil Orient, et toutes avaient des poitrines garçonnières et inertes d’anges, toutes étaient, pour ainsi dire, insexuelles.
Baudelaire et Poe, ces deux esprits qu’on avait souvent appariés, à cause de leur commune poétique, de leur inclination partagée pour l’examen des maladies mentales, différaient radicalement par les conceptions affectives qui tenaient une si large place dans leurs oeuvres; Baudelaire avec son amour, altéré et inique, dont le cruel dégoût faisait songer aux représailles d’une inquisition; Poe, avec ses amours chastes, aériennes, où les sens n’existaient pas, où la cervelle solitaire s’érigeait, sans correspondre à des organes qui, s’ils existaient, demeuraient à jamais glacés et vierges.
Cette clinique cérébrale où, vivisectant dans une atmosphère étouffante, ce chirurgien spirituel devenait, dès que son attention se lassait, la proie de son imagination qui faisait poudroir comme de délicieux miasmes, des apparitions somnambulesques et angéliques, était pour des Esseintes une source d’infatigables conjectures; mais maintenant que sa névrose s’était exaspérée, il y avait des jours où ces lectures le brisaient, des jours où il restait, les mains tremblantes, l’oreille au guet, se sentant, ainsi que le désolant Usher, envahi par une transe irraisonnée, par une frayeur sourde.
Aussi devait-il se modérer, toucher à peine à ces redoutables élixirs, de même qu’il ne pouvait plus visiter impunément son rouge vestibule et s’enivrer la vue des ténèbres d’Odilon Redon et des supplices de Jan Luyken.
Et cependant, lorsqu’il était dans ces dispositions d’esprit, toute littérature lui semblait fade après ces terribles philtres importés de l’Amérique. Alors, il s’adressait à Villiers de l’Isle-Adam, dans l’oeuvre éparse duquel il notait des observations encore séditieuses, des vibrations encore spasmodiques, mais qui ne dardaient plus, à l’exception de sa Claire Lenoir du moins, une si bouleversante horreur.
Parue, en 1867, dans la Revue des lettres et des arts, cette Claire Lenoir ouvrait une série de nouvelles comprises sous le titre générique d’„Histoires moroses“. Sur un fond de spéculations obscures empruntées au vieil Hegel, s’agitaient des êtres démantibulés, un docteur Tribulat Bonhomet, solennel et puéril, une Claire Lenoir, farce et sinistre, avec les lunettes bleues rondes, et grandes comme des pièces de cent sous, qui couvraient ses yeux à peu près morts.
Cette nouvelle roulait sur un simple adultère et concluait à un indicible effroi, alors que Bonhomet, déployant les prunelles de Claire, à son lit de mort, et les pénétrant avec de monstrueuses sondes, apercevait distinctement réfléchi le tableau du mari qui brandissait, au bout du bras, la tête coupée de l’amant, en hurlant, tel qu’un Canaque, un chant de guerre.
Basé sur cette observation plus ou moins juste que les yeux de certains animaux, des boeufs, par exemple, conservent jusqu’à la décomposition, de même que des plaques photographiques, l’image des êtres et des choses situés, au moment où ils expiraient, sous leur dernier regard, ce conte dérivait évidemment de ceux d’Edgar Poe, dont il s’appropriait la discussion pointilleuse et l’épouvante.
Il en était de même de l’„Intersigne“ qui avait été plus tard réuni aux Contes cruels, un recueil d’un indiscutable talent, dans lequel se trouvait „Véra“, une nouvelle, que des Esseintes considérait ainsi qu’un petit chef-d’oeuvre.
Ici, l’hallucination était empreinte d’une tendresse exquise; ce n’était plus les ténébreux mirages de l’auteur américain, c’était une vision tiède et fluide, presque céleste; c’était, dans un genre identique, le contre-pied des Béatrice et des Ligeia, ces mornes et blancs fantômes engendrés par l’inexorable cauchemar du noir opium!
Cette nouvelle mettait aussi en jeu les opérations de la volonté, mais elle ne traitait plus de ses affaiblissements et de ses défaites, sous l’effet de la peur; elle étudiait, au contraire, ses exaltations, sous l’impulsion d’une conviction tournée à l’idée fixe; elle démontrait sa puissance qui parvenait même à saturer l’atmosphère, à imposer sa foi aux choses ambiantes.
Un autre livre de Villiers, Isis, lui semblait curieux à d’autres titres. Le fatras philosophique de Claire Lenoir obstruait également celui-là qui offrait un incroyable tohu-bohu d’observations verbeuses et troubles et de souvenirs de vieux mélodrames, d’oubliettes, de poignards, d’échelles de corde, de tous ces ponts-neuf romantiques que Villiers ne devait point rajeunir dans son „Elën“, dans sa „Morgane“, des pièces oubliées, éditées chez un inconnu, le sieur Francisque Guyon, imprimeur à Saint-Brieuc.
L’héroïne de ce livre, une marquise Tullia Fabriana, qui était censée s’être assimilé la science chaldéenne des femmes d’Edgar Poe et les sagacités diplomatiques de la Sanseverina-Taxis de Stendhal, s’était, en sus, composé l’énigmatique contenance d’une Bradamante mâtinée d’une Circé antique. Ces mélanges insolubles développaient une vapeur fuligineuse au travers de laquelle des influences philosophiques et littéraires se bousculaient, sans avoir pu s’ordonner, dans le cerveau de l’auteur, au moment où il écrivait les prolégomènes de cette oeuvre qui ne devait pas comprendre moins de sept volumes.
Mais, dans le tempérament de Villiers, un autre coin, bien autrement perçant, bien autrement net, existait, un coin de plaisanterie noire et de raillerie féroce; ce n’étaient plus alors les paradoxales mystifications d’Edgar Poe, c’était un bafouage d’un comique lugubre, tel qu’en ragea Swift. Une série de pièces, Les Demoiselles de Bienfilâtre, L’Affichage céleste, La Machine à gloire, Le Plus beau dîner du monde, décelaient un esprit de goguenardise singulièrement inventif et âcre. Toute l’ordure des idées utilitaires contemporaines, toute l’ignominie mercantile du siècle, étaient glorifiées en des pièces dont la poignante ironie transportait des Esseintes.
Dans ce genre de la fumisterie grave et acerbe, aucun autre livre n’existait en France; tout au plus, une nouvelle de Charles Cros, La Science de l’amour, insérée jadis dans la Revue du Monde Nouveau, pouvait-elle étonner par ses folies chimiques, son humour pincé, ses observations froidement bouffonnes, mais le plaisir n’était plus que relatif, car l’exécution péchait d’une façon mortelle. Le style ferme, coloré, souvent original de Villiers, avait disparu pour faire place à une rillette raclée sur l’établi littéraire du premier venu.
— Mon Dieu! mon Dieu! qu’il existe donc peu de livres qu’on puisse relire, soupira des Esseintes, regardant le domestique qui descendait de l’escabelle où il était juché et s’effaçait pour lui permettre d’embrasser d’un coup d’oeil tous les rayons.
Des Esseintes approuva de la tête. Il ne restait plus sur la table que deux plaquettes. D’un signe, il congédia le vieillard et il parcourut quelques feuilles reliées en peau d’onagre, préalablement satinée à la presse hydraulique, pommelée à l’aquarelle de nuées d’argent et nantie de gardes de vieux lampas, dont les ramages un peu éteints, avaient cette grâce des choses fanées que Mallarmé célébra dans un si délicieux poème.
Ces pages, au nombre de neuf, étaient extraites d’uniques exemplaires des deux premiers Parnasses, tirés sur parchemin, et précédées de ce titre: Quelques vers de Mallarmé, dessiné par un surprenant calligraphe, en lettres onciales, coloriées, relevées, comme celles des vieux manuscrits, de points d’or.
Parmi les onze pièces réunies sous cette couverture, quelques-unes, Les Fenêtres, L’Épilogue, Azur, le requéraient; mais une entre autres, un fragment de l’Hérodiade, le subjuguait de même qu’un sortilège, à certaines heures.
Combien de soirs, sous la lampe éclairant de ses lueurs baissées la silencieuse chambre, ne s’était-il point senti effleuré par cette Hérodiade qui, dans l’oeuvre de Gustave Moreau maintenant envahie par l’ombre, s’effaçait plus légère, ne laissant plus entrevoir qu’une confuse statue, encore blanche, dans un brasier éteint de pierres!
L’obscurité cachait le sang, endormait les reflets et les ors, enténébrait les lointains du temple, noyait les comparses du crime ensevelis dans leurs couleurs mortes, et, n’épargnant que les blancheurs de l’aquarelle, sortait la femme du fourreau de ses joailleries et la rendait plus nue.
Invinciblement, il levait les yeux vers elle, la discernait à ses contours inoubliés et elle revivait, évoquant sur ses lèvres ces bizarres et doux vers que Mallarmé lui prête:
. . . . .„O miroir!
„Eau froide par l’ennui dans ton cadre gelée
„Que de fois, et pendant les heures, désolée
„Des songes et cherchant mes souvenirs qui sont
„Comme des feuilles sous ta glace au trou profond,
„Je m’apparus en toi comme une ombre lointaine!
„Mais, horreur! des soirs, dans ta sévère fontaine,
„J’ai de mon rêve épars connu la nudité!“
Ces vers, il les aimait comme il aimait les oeuvres de ce poète qui, dans un siècle de suffrage universel et dans un temps de lucre, vivait à l’écart des lettres, abrité de la sottise environnante par son dédain, se complaisant, loin du monde, aux surprises de l’intellect, aux visions de sa cervelle, raffinant sur des pensées déjà spécieuses, les greffant de finesses byzantines, les perpétuant en des déductions légèrement indiquées que reliait à peine un imperceptible fil.
Ces idées nattées et précieuses, il les nouait avec une langue adhésive, solitaire et secrète, pleine de rétractions de phrases, de tournures elliptiques, d’audacieux tropes.
Percevant les analogies les plus lointaines, il désignait souvent d’un terme donnant à la fois, par un effet de similitude, la forme, le parfum, la couleur, la qualité, l’éclat, l’objet ou l’être auquel il eût fallu accoler de nombreuses et de différentes épithètes pour en dégager toutes les faces, toutes les nuances, s’il avait été simplement indiqué par son nom technique. Il parvenait ainsi à abolir l’énoncé de la comparaison qui s’établissait, toute seule, dans l’esprit du lecteur, par l’analogie, dès qu’il avait pénétré le symbole, et il se dispensait d’éparpiller l’attention sur chacune des qualités qu’auraient pu présenter, un à un, les adjectifs placés à la queue leu leu, la concentrait sur un seul mot, sur un tout, produisant, comme pour un tableau par exemple, un aspect unique et complet, un ensemble.
Cela devenait une littérature condensée, un coulis essentiel, un sublimé d’art; cette tactique d’abord employée d’une façon restreinte, dans ses première oeuvres, Mallarmé l’avait hardiment arborée dans une pièce sur Théophile Gautier et dans L’Après-midi du faune, une églogue, où les subtilités des joies sensuelles se déroulaient en des vers mystérieux et câlins que trouait tout à coup ce cri fauve et délirant du faune:
„Alors m’éveillerai-je à la ferveur première,
„Droit et seul sous un flot antique de lumière,
„Lys! et l’un de vous tous pour l’ingénuité.“
Ce vers qui avec le monosyllabe lys! en rejet, évoquait l’image de quelque chose de rigide, d’élancé, de blanc, sur le sens duquel appuyait encore le substantif ingénuité mis à la rime, exprimait allégoriquement, en un seul terme, la passion, l’effervescence, l’état momentané du faune vierge, affolé de rut par la vue des nymphes.
Dans cet extraordinaire poème, des surprises d’images nouvelles et invues surgissaient, à tout bout de vers, alors que le poète décrivait les élans, les regrets du chèvre-pied contemplant sur le bord du marécage les touffes des roseaux-gardant encore, en un moule éphémère, la forme creuse des naïades qui l’avaient empli.
Puis, des Esseintes éprouvait aussi de captieuses délices à palper cette minuscule plaquette, dont la couverture en feutre du Japon, aussi blanche qu’un lait caillé, était fermée par deux cordons de soie, l’un rose de Chine, et l’autre noir.
Dissimulée derrière la couverture, la tresse noire rejoignait la tresse rose qui mettait comme un souffle de veloutine, comme un soupçon de fard japonais moderne, comme un adjuvant libertin, sur l’antique blancheur, sur la candide carnation du livre, et elle l’enlaçait, nouant en une légère rosette, sa couleur sombre à la couleur claire, insinuant un discret avertissement de ce regret, une vague menace de cette tristesse qui succèdent aux transports éteints et aux surexcitations apaisées des sens.
Des Esseintes reposa sur la table L’Après-midi du faune, et il feuilleta une autre plaquette qu’il avait fait imprimer, à son usage, une anthologie du poème en prose, une petite chapelle, placée sous l’invocation de Baudelaire, et ouverte sur le parvis de ses poèmes.
Cette anthologie comprenait un selectae du Gaspard de la Nuit de ce fantasque Aloysius Bertrand qui a transféré les procédés du Léonard dans la prose et peint, avec ses oxydes métalliques, de petits tableaux dont les vives couleurs chatoient, ainsi que celles des émaux lucides. Des Esseintes y avait joint Le Vox populi, de Villiers, une pièce superbement frappée dans un style d’or, à l’effigie de Leconte de Lisle et de Flaubert, et quelques extraits de ce délicat Livre de Jade dont l’exotique parfum de ginseng et de thé se mêle à l’odorante fraîcheur de l’eau qui babille sous un clair de lune, tout le long du livre.
Mais, dans ce recueil, avaient été colligés certains poèmes sauvés de revues mortes: Le Démon de l’analogie, La Pipe, Le Pauvre Fnfant pâle, Le Spectacle interrompu, Le Phénomène futur, et surtout Plaintes d’automne et Frisson d’hiver, qui étaient les chefs-d’oeuvre de Mallarmé et comptaient également parmi les chefs-d’oeuvre du poème en prose, car ils unissaient une langue si magnifiquement ordonnée qu’elle berçait, par elle-même, ainsi qu’une mélancolique incantation, qu’une enivrante mélodie, à des pensées d’une suggestion irrésistible, à des pulsations d’âme de sensitif dont les nerfs en émoi vibrent avec une acuité qui vous pénètre jusqu’au ravissement, jusqu’à la douleur.
De toutes les formes de la littérature, celle du poème en prose était la forme préférée de des Esseintes. Maniée par un alchimiste de génie, elle devait, suivant lui, renfermer, dans son petit volume, à l’état d’of meat, la puissance du roman dont elle supprimait les longueurs analytiques et les superfétations descriptives. Bien souvent, des Esseintes avait médité sur cet inquiétant problème, écrire un roman concentré en quelques phrases qui contiendraient le suc cohobé des centaines de pages toujours employées à établir le milieu, à dessiner les caractères, à entasser à l’appui les observations et les menus faits. Alors les mots choisis seraient tellement impermutables qu’ils suppléeraient à tous les autres; l’adjectif posé d’une si ingénieuse et d’une si définitive façon qu’il ne pourrait être légalement dépossédé de sa place, ouvrirait de telles perspectives que le lecteur pourrait rêver, pendant des semaines entières, sur son sens, tout à la fois précis et multiple, constaterait le présent, reconstruirait le passé, devinerait l’avenir d’âmes des personnages, révélés par les lueurs de cette épithète unique.
Le roman, ainsi conçu, ainsi condensé en une page ou deux, deviendrait une communion de pensée entre un magique écrivain et un idéal lecteur, une collaboration spirituelle consentie entre dix personnes supérieures éparses dans l’univers, une délectation offerte aux délicats, accessible à eux seuls.
En un mot, le poème en prose représentait, pour des Esseintes, le suc concret, l’osmazome de la littérature, l’huile essentielle de l’art.
Cette succulence développée et réduite en une goutte, elle existait déjà chez Baudelaire, et aussi dans ces poèmes de Mallarmé qu’il humait avec une si profonde joie.
Quand il eut fermé son anthologie, des Esseintes se dit que sa bibliothèque arrêtée sur ce dernier livre, ne s’augmenterait probablement jamais plus.
En effet, la décadence d’une littérature, irréparablement atteinte dans son organisme, affaiblie par l’âge des idées, épuisée par les excès de la syntaxe, sensible seulement aux curiosités qui enfièvrent les malades et cependant pressée de tout exprimer à son déclin, acharnée à vouloir réparer toutes les omissions de jouissance, à léguer les plus subtils souvenirs de douleur, à son lit de mort, s’était incarnée en Mallarmé, de la façon la plus consommée et la plus exquise.
C’étaient, poussées jusqu’à leur dernière expression, les quintessences de Baudelaire et de Poe; c’étaient leurs fines et puissantes substances encore distillées et dégageant de nouveaux fumets, de nouvelles ivresses.
C’était l’agonie de la vieille langue qui, après s’être persillée de siècle en siècle, finissait par se dissoudre, par atteindre ce déliquium de la langue latine qui expirait dans les mystérieux concepts et les énigmatiques expressions de saint Boniface et de saint Adhelme.
Au demeurant, la décomposition de la langue française s’était faite d’un coup. Dans la langue latine, une longue transition, un écart de quatre cents ans existait entre le verbe tacheté et superbe de Claudien et de Rutilius, et le verbe faisandé du VIIIe siècle. Dans la langue française aucun laps de temps, aucune succession d’âges n’avait eu lieu; le style tacheté et superbe des de Goncourt et le style faisandé de Verlaine et de Mallarmé se coudoyaient à Paris, vivant en même temps, à la même époque, au même siècle.
Et des Esseintes sourit, regardant l’un des in-folios ouverts sur son pupitre de chapelle, pensant que le moment viendrait où un érudit préparerait pour la décadence de la langue française, un glossaire pareil à celui dans lequel le savant du Cange a noté les dernières balbuties, les derniers spasmes, les derniers éclats, de la langue latine râlant de vieillesse au fond des cloîtres.
Vierzehntes Kapitel
Einige Tage lang war sein Zustand erträglich, durch die Mittel, die er seinem Magen anbot. Aber eines Morgens wollte er die marinierten Gerichte nicht mehr annehmen, und der Herzog fragte sich beunruhigt, ob seine große Schwäche nicht noch zunehmen und ihn nötigen werde, das Bett zu hüten.
Es fiel ihm plötzlich ein, daß einer seiner Freunde es mit Hilfe eines gewissen Nahrungsmittels erreicht hatte, seiner Blutarmut Einhalt zu tun und sich das bißchen Kraft zu erhalten.
Er schickte schnell seinen Diener nach Paris, um sich dieses kostbare Mittel zu verschaffen; nach dem Prospekt, den der Fabrikant beigelegt hatte, unterrichtete er selbst seine Köchin, wie das Rindfleisch in kleine Stücke zu schneiden und zuzubereiten sei.
Den durch diese Prozedur gewonnenen Saft nahm er löffelweise ein.
Durch diese Kur wurde das Nervenleiden aufgehalten, und der Herzog sagte sich:
„Das hätten wir immerhin erreicht; vielleicht daß die Temperatur sich ändert und der Himmel etwas Asche auf diese abscheuliche Sonne wirft, die mich völlig erschöpft, und daß ich mich ohne große Schwierigkeit bis zur ersten Kälte durchschlagen werde.“
In dieser Erschlaffung und müßigen Langeweile, in die er versunken war, ärgerte ihn seine Bibliothek, deren Ordnung unvollendet geblieben war; da er nicht mehr aus seinem Lehnstuhl aufstehn konnte, hatte er unaufhörlich seine profanen Bücher vor sich, die wie Kraut und Rüben in den Fächern standen und lagen. Die Unordnung verletzte ihn um so mehr, da sie zu der sorgfältigen Ordnung der religiösen Bibliothek in schreiendem Widerspruch stand.
Er versuchte dieser Verwirrung ein wenig abzuhelfen, aber nachdem er zehn Minuten gearbeitet hatte, war er wie in Schweiß gebadet; die Anstrengung erschöpfte ihn. Wie gebrochen legte er sich aufs Sofa und klingelte seinem Diener.
Auf seine Angabe hin machte sich der alte Mann ans Werk, ihm einzeln die Bücher zuzutragen, die er prüfte und deren Platz er bezeichnete.
Diese Arbeit war von kurzer Dauer, denn die Bibliothek des Herzogs Jean schloß nur eine außerordentlich kleine Zahl moderner weltlicher Werke ein.
Er war nämlich zu dem Resultat gelangt, daß er nicht mehr ein Buch entdecken könne, das seinen geheimen Wünschen entsprach; und seine Bewunderung ließ sogar für die Bücher nach, die dazu beigetragen hatten, seinen Geist zu schärfen und ihn so argwöhnisch und so wählerisch zu machen.
In der Kunst waren seine Ideen von dem eigentlich selbständigen Standpunkt ausgegangen: für ihn existierten keine Schulen, das Temperament des Schriftstellers allein war für ihn maßgebend. Die Arbeit seines Gehirns interessierte ihn, welches Thema er sich auch gestellt haben mochte.
Leider war in Wahrheit diese Schätzung, eines La Palisse würdig, beinahe undurchführbar, und zwar aus dem einfachen Grunde, weil jeder, wenn er es auch wünscht, sich von allen Vorurteilen loszumachen, und sich jeder Parteinahme zu enthalten sucht, sich aber doch mit Vorzug zu den Werken hingezogen fühlt, die mit seinem Temperament am meisten übereinstimmen.
Dieser Prozeß der Auswahl hatte sich langsam in ihm vollzogen; er hatte vor kurzem noch den großen Balzac angebetet, aber zur selben Zeit, als sein Organismus aus dem Gleichgewicht geriet und seine Nerven die Herrschaft übernahmen, hatten sich auch seine Neigungen modifiziert und seine Bewunderungen vermindert.
Seit kurzem sogar, und obwohl er sich Rechenschaft von seiner Ungerechtigkeit gegen den trefflichen Verfasser der „menschlichen Komödie“ ablegte, war er dahin gekommen, seine Werke nicht mehr zu öffnen. Andre Wünsche bewegten ihn jetzt, die kaum definierbar waren.
Er sah bei einiger Prüfung zwar ein, daß ein Werk, das ihn anziehn sollte, den Stempel der Seltsamkeit tragen müsse, wie zum Beispiel Edgar Poes Kunst; aber er wagte sich häufig noch weiter vor auf diesem Wege.
Er wollte durchaus ein Kunstwerk, das für sich Bedeutung hatte. Er wollte ihm folgen, wie gestützt und getragen von einem freundlichen Helfer, in eine Sphäre, in der ihm die erhabnen Empfindungen eine ungeahnte Sensation einflößten, bei denen er lange nach der Ursache forschen konnte.
Er entfernte sich mehr und mehr von der Wirklichkeit und besonders von der heutigen Gesellschaft, gegen die er einen wachsenden Abscheu empfand. Dieser Haß hatte notgedrungen auf seinen literarischen und künstlerischen Geschmack gewirkt, und er wandte sich soviel wie möglich von den Bildern und Büchern ab, deren in der Stoffwahl eng begrenzte Themata sich auf das moderne Leben beschränkten.
Somit verlor er die Fähigkeit, die Schönheit, unter welcher Form sie sich auch darbot, gleichgültig zu bewundern, und zog bei Flaubert „die Versuchung des heiligen Antonius“ der „sentimentalen Erziehung“, bei Goncourt „die Faustina“ der „Germinie Lacerteux“, bei Zola „die Schuld des Abbés Mouret“ dem „Assommoir“ vor.
Dieser Gesichtspunkt schien ihm logisch. Diese weniger unmittelbar wirkenden, aber so mächtigen, so menschlichen Werke ließen ihn tiefer in den Schacht des Temperamentes dieser Meister eindringen, die mit aufrichtiger Ungezwungenheit die geheimnisvollsten Erregungen ihres Wesens offenbarten.
Und so trat er in vollständige Ideenübereinstimmung zu ihren Verfassern, weil sie sich wohl in einer gleichen Geistesverfassung wie er befunden haben mochten.
Bei Flaubert waren es die feierlichen, ungeheuern Gemälde, großartiger Prunk in barbarisch prachtvoller Umrahmung, auf denen entzückend zarte, geheimnisvolle und stolze Wesen Leben annahmen: Frauen in höchster Vollendung ihrer Schönheit, mit kranken Seelen, in ihrem Innern schreckliche Verwüstungen und wahnsinnige Wünsche.
Das ganze Temperament des großen Künstlers zeigte sich in den unvergleichlichen Seiten der „Versuchung des heiligen Antonius“ und in „Salambo“, wo er weitab von unserm armseligen Leben den Glanz der alten Zeiten heraufbeschwor mit ihren mystischen Gebeten, ihrem Verfall und ihren Grausamkeiten.
Bei Edmond de Goncourt war es das Heimweh nach dem vorigen Jahrhundert, eine Rückkehr zu der Eleganz einer für immer verschwundnen Gesellschaft; der begeisterte Lobgesang auf das Meer, das sich an den Hafendämmen bricht. Die Wüsten, die sich in endloser Ferne unter dem heißen Himmel verlieren, existierten nicht in seinem Heimweh-Werk, das sich in einen königlichen Park oder in ein Boudoir zurückzog, das durch die wollüstigen Ausströmungen eines Weibes mit müdem Lächeln, lüsternem Mund und sinnenden Augen erwärmt wird. Die Seele, mit denen Goncourt seine Menschen belebte, war nicht die Seele, die Flaubert seinen Geschöpfen eingab.
Obgleich sie unter uns gelebt hatte, obgleich sie ganz Leben und Körper unsrer Zeit war, war die Faustina dennoch durch erbliche Einflüsse ein Wesen des vergangnen Jahrhunderts, von dem sie die Würze der Seele, die geistige Müdigkeit und die sinnliche Ausschweifung hatte.
Dieses Buch von Goncourt war eins der Lieblingsbücher des Herzogs. Sein Verlangen, über einem Werke träumen zu können, wurde in diesem Werke gestillt, wo man überall zwischen den Zeilen lesen konnte.
Es war nicht die Sprache Flauberts, diese Sprache unnachahmlicher Pracht, sondern es war ein durchsichtig-krankhaft-nervöser Stil, ein Stil, der fähig war, die komplizierten Nuancen einer Epoche auszudrücken, die an und für sich schon außerordentlich verwickelt waren.
In Paris war das in der Literaturgeschichte beinahe Unglaubliche geschehn: die mit dem Tode ringende Gesellschaft des achtzehnten Jahrhunderts, das Maler, Bildhauer, Musiker, Architekten in Fülle hervorgebracht hatte, die von seinem Stil durchdrungen und seinen Doktrinen erfüllt waren, hatte nicht einen wirklichen Schriftsteller gehabt, der seine morbide Grazie darzustellen verstand. Man hatte das Auftreten Goncourts abwarten müssen, dessen Kunst aus Erinnerungen bestand, aus wieder aufgefrischten Klagen über den leidigen Anblick des geistigen Elends und des niedrigen Trachtens seiner Zeit, damit er, nicht nur in seinen Geschichtsbüchern, sondern auch in seinem Heimweh-Werk, wie die „Faustina“, die Seele dieser Epoche wieder auferwecken, ihre nervösen Zartheiten in dieser Künstlerin verkörpern konnte.
Bei Zola war das Heimweh nach dem Jenseits anders geartet.
In ihm war nicht der Wunsch nach Auswandrung in verschwundne Regionen, nicht das Bedürfnis, in vergangne Zeiten zu flüchten. Sein mächtiges zielbewußtes Temperament, verliebt in die Üppigkeiten des Lebens, in die sanguinischen Kräfte und moralische Gesundheit, ließ ihn sich von den künstlichen Reizen und der geschminkten Blutarmut des vergangnen Jahrhunderts fern halten, wie auch von der hierarischen Feierlichkeit, der brutalen Grausamkeit und den verweichlichten, zweideutigen Träumerein des alten Orients.
An dem Tage, an dem auch er von diesem Heimweh, von dem Bedürfnis und Sehnen erfaßt worden war, das im Grunde die Poesie selbst ist, da hatte er sich in ein ideales Gefilde gestürzt, wo der Saft in voller Sonne schäumte; er hatte von der phantastischen Brunst des Himmels, von dem berauschenden Entzücken der Erde, von dem befruchtenden Regen des Blütenstaubes, der in die lechzenden Organe der Blumen fällt, geträumt. So war er zu einem riesenhaften Pantheismus gekommen, hatte, gegen seinen Willen vielleicht, mit diesem paradiesischen Milieu, in das er seinen Adam und seine Eva stellte, eine wunderbare indische Dichtung geschaffen, in einem Stil, dessen kühne, roh aufgetragne Farbe einen seltsamen Glanz, wie die der indischen Malerei hatte, indem er die Hymne der Fleischeslust anstimmte, das belebte und lebende Sinnliche feierte und durch das Betonen des Fortpflanzungsdranges der menschlichen Kreatur die verbotne Frucht der Liebe, ihre instinktiven Liebkosungen, ihre natürliche Stellung offenbarte.
Mit Baudelaire waren diese drei Meister in der französischen modernen profanen Literatur die, die den Geist des Herzogs am meisten gefesselt hatten; aber dadurch, daß er sie zu oft gelesen hatte, war er von diesen Werken übersättigt.
Er kannte sie auswendig, und um sich noch wieder in sie versenken zu können, hatte er sich bemüht, sie zu vergessen und sie einige Zeit in ihren Fächern ruhen zu lassen.
Deshalb öffnete er sie auch kaum, als der Diener sie ihm jetzt hinhielt. Er begnügte sich, den Platz zu bezeichnen, den sie einnehmen sollten, und beachtete nur, daß sie auch richtig und gut geordnet wurden.
Der Diener brachte ihm einen neuen Stoß Bücher. Es waren dies zwar weniger bedeutende Werke, zu denen er aber doch nach und nach eine Neigung gefaßt hatte.
Gerade ihre Unvollkommenheiten gefielen ihm, vorausgesetzt, daß sie nicht unselbständig waren; und vielleicht enthält die Behauptung eine Dosis Wahrheit, die meint, daß uns der Schriftsteller zweiten Ranges, der wohl eine Individualität darstellt, aber seiner Selbständigkeit noch nicht bewußt geworden ist, einen noch kräftigern Trank zumutet, als der Künstler derselben Zeit, der wirklich groß und wirklich vollkommen ist.
Daher wendete er sich notgedrungen von den Meistern ab und den Schriftstellern zu, die ihm dadurch noch teurer wurden, daß sie das Publikum, das sie nicht verstand, verachtete.
Einer von ihnen, Paul Verlaine, hatte mit einem Band Verse „Poèmes Saturniens“ debütiert, einem ziemlich schwachen Werk, in dem sich die Nachahmungen von Leconte de Lisle und romantische Rhetorik berührten, aber in dem schon in gewissen Teilen, wie in dem Sonett: „Rêve familier“ die wirkliche Persönlichkeit des Poeten durchschimmerte.
Beim Studium seiner frühen Gedichte erkannte der Herzog unter seinen unselbständigen Versuchen ein Talent, das schon von Baudelaire tief durchdrungen war, dessen Einfluß sich später noch mehr geltend machte, ohne das er erdrückend geworden wäre.
Seine spätern Bücher, die „Bonne Chanson“, die „Fêtes galantes“, die „Romances sans paroles“, schließlich sein letzter Band „Sagesse“ enthielten Gedichte, in denen sich der originelle Schriftsteller offenbarte und sich von dem großen Haufen seiner Kollegen glänzend abhob.
Im Gegensatz zu Verlaine, der direkt von Baudelaire abstammte und besonders durch die psychologische Seite, durch die köstliche Färbung des Gedankens, durch die gelehrte Quintessenz des Gefühls mit ihm verwandt war, näherte sich Théodore Hannon besonders dem Meister in der plastischen Form, in der äußerlichen Erscheinung der Wesen und Dinge.
Seine entzückende Korruption stimmte merkwürdig mit den Neigungen des Herzogs überein, der bei Nebel und Regentagen sich in den von dem Poeten erdachten Schmollwinkel einschloß und seine Augen an dem Schillern seiner Stoffe, an dem Funkeln seiner Edelsteine, an der ausschließlich materiellen Pracht berauschte, die zu den Aufreizungen des Gehirns beitrugen.
Mit Ausnahme dieses Poeten und Stéphane Mallarmés, die er seinem Diener beiseite zu legen befahl, um sie abseits aufzustellen, fühlte sich der Herzog nur wenig von den Dichtern angezogen.
Trotz ihrer prächtigen Form, trotz der imposanten Wendung seiner Verse, die sich mit solchem Glanz ausbreiteten, daß die Hexameter von Hugo sogar im Vergleich düster und klanglos schienen, konnte ihn Leconte de Lisle jetzt nicht mehr befriedigen.
Das Altertum, das Flaubert so wunderbar wieder belebt hatte, blieb unter seinen Händen leblos und kalt. Es war kein Blut in diesen Versen, alles war nur Außenseite; nichts atmete in diesen öden Gedichten, dessen kaltblütige Mythologien ihn schließlich erstarrten.
Auch an Gautiers Werken fand er kein Interesse mehr, nachdem er ihn lange gern gehabt hatte; seine Bewunderung für einen so unvergleichlichen Maler, wie dieser Mann es war, war von Tag zu Tag mehr verschwunden, und jetzt war er erstaunter als entzückt über diese indifferenten Beschreibungen.
Zweifellos liebte der Herzog die Werke dieser beiden Poeten, wie er seltne und kostbare Steine liebte, aber keine der Variationen dieser vollkommnen Instrumentisten konnte ihn mehr entzücken, denn keine war dem Träumen zugänglich, keine zeigte, wenigstens nicht für ihn, einen jener lebhaften Durchblicke, die ihm erlaubten, den langsamen Flug der Stunden zu beschleunigen.
Er ging hungrig von diesen Büchern weg; ähnlich erging es ihm bei Victor Hugo.
Die psychologischen Labyrinthe Stendhals, die analytischen Irrgänge Durantys lockten ihn, aber ihre farblose, steife Sprache, gut genug für die gewöhnlichen Theaterstücke, stieß ihn anderseits ab.
Um sich an einem Werk zu erfreun, das nach seinem Geschmack einen prägnanten Stil mit einer scharfsinnig-katzenhaften Beweisführung verband, mußte er auf Edgar Poe zurückgreifen, für den seine Liebe nur gewachsen war, seitdem er sich öfter mit ihm beschäftigt hatte.
Mehr als jeder andre entsprach gerade dieser durch eine geistige Verwandtschaft den Träumerein des Herzogs.
Dem Tod, den alle Dramatiker so sehr gemißbraucht hatten, hatte er ein andres Aussehn gegeben; es war eigentlich weniger der wirkliche Todeskampf eines Sterbenden, den er beschrieb, sondern der moralische Todeskampf des Überlebenden, der vor dem elenden Bett von gräßlichen Hirngebilden, die der Schmerz und die Ermüdung erzeugt hatten, erfaßt wird. Mit grausamem Zauber hob er besonders die Handlungen des Entsetzens, den Zusammenbruch des Willens hervor, begründete sie kaltblütig, schnürte nach und nach die Kehle des keuchenden, erstickenden Lesers vor diesem künstlich zurechtgemachten Alpdrücken des heißen Fiebers zu. Von erblichem Nervenleiden krampfhaft verzerrt, halb wahnsinnig von dem moralischen Veitstanz, lebten seine Kreaturen nur durch die Nerven; seine Frauengestalten, wie Morella, Ligeia, besaßen eine ungeheure Gelehrsamkeit, durchdrungen von dem Nebel der deutschen Philosophie und den kabbalistischen Geheimnissen des alten Orients, und alle hatten sie Knabenbrüste und waren geschlechtslos.
Baudelaire und Poe, diese beiden Geister, die man oft zusammengestellt hatte wegen ihrer poetischen Berührungspunkte, ihrer gleichen Neigung in dem Vorwurfe geistiger Krankheiten, waren vollständig verschieden durch ihre Auffassungen vom Gemüt, das in ihren Werken einen so großen Platz einnahm. Baudelaire mit seiner gierigen Liebe, deren grausame Lust an die Verfolgungen einer Inquisition erinnert; Poe mit seinen keuschen ätherischen Leidenschaften, in denen keine Sinnlichkeit lebte, in denen das Gehirn allein Geltung hatte, ohne Zusammenhang mit den Organen, die, wenn sie überhaupt vorhanden waren, nur kalt und jungfräulich blieben.
Diese Klinik, in der der geistreiche Chirurg in einer bedrückenden Atmosphäre Gehirne zerlegte, war für den Herzog eine Quelle unermüdlichen Nachdenkens; aber seitdem sein Nervenleiden zugenommen hatte, gab es Tage, wo diese Lektüre ihn vollständig niederwarf, Tage, wo er mit zitternden Händen ängstlich lauschend dasaß und sich, wie der verzweifelte Usher, von einer unsinnigen Todesangst, einem dumpfen Schrecken erfaßt fühlte.
Notgedrungen mußte er sich schonen und diese fürchterlichen Reizmittel vermeiden. Ebenso vermochte er nicht mehr ungestraft sein rotes Vorzimmer zu besichtigen und sich an dem Anblick der Unheimlichkeiten Odilon Redons und den Martern Jan Luykens zu berauschen.
Und doch schien ihm, wenn er in dieser Geistesverfassung war, jede Literatur ungenießbar nach diesem amerikanischen Poeten.
Er wendete sich dann wohl zu Villiers de l’Isle-Adam, in dessen zerfahrnem Werke er wohl noch Anreizendes fand, das ihn jedoch nicht mehr wirklich packte, mit Ausnahme allerdings seiner Claire Lenoir, einem wahrhaft beunruhigenden Scheusal.
Es existierte wohl kein andres Buch in Frankreich in diesem Stil des ernsten und zugleich herben Spottes, außer der Novelle von Charles Cros: „la science de l’amour“. Diese konnte noch durch ihren stichelnden Humor und ihre kalt spaßhaften Beobachtungen auffallen, aber das Vergnügen war nur relativ, denn die Ausführung ließ alles zu wünschen übrig.
„Mein Gott! mein Gott! gibt es doch wenig Bücher, die man zweimal lesen kann,“ seufzte der Herzog, der seinem Diener zusah, wie er vom Schemel herunterstieg, indem er zur Seite ging, damit der Herzog alle Fächer überblicken könnte.
Herzog Jean nickte Genehmigung mit dem Kopfe. Es blieben nur noch zwei dünne Einbände auf dem Tische. Eine Handbewegung verabschiedete den alten Diener. Er ergriff eins der Bücher, das in Eselshaut gebunden war, eingehüllt in eine Schutzdecke aus altem chinesischen Seidenstoff, der verblaßt war und den Reiz verblaßter Stoffe hatte, wie sie Mallarmé in einem entzückenden Gedichte rühmte.
Das Buch bestand nur aus neun Seiten und enthielt Auszüge aus Mallarmés ersten beiden Büchern. Sie waren auf Pergament gedruckt und unter dem Titel: „Einige Verse von Mallarmé“ vereinigt. Sie waren von einem geschickten Kalligraphen in goldnen und farbigen Buchstaben mit der Hand im Stil der alten Handschriften gemalt.
Einige dieser Stücke interessierten ihn, aber besonders ein Bruchstück der Herodias wußte ihn in gewissen Stunden wie durch einen Zauber zu bannen.
Wie oft hatte er sich nicht des Abends unter der Lampe, die mit ihrem gedämpften Licht das stille Zimmer beleuchtete, hingerissen gefühlt von dieser Herodias, die in dem Bilde Gustav Moreaus, das jetzt im Schatten hing, nur noch die undeutlichen Umrisse ihres Körpers durch ihren Behang von Edelsteinen durchblicken ließ.
Die Dunkelheit unterdrückte das Leben, dämpfte die Reflexe und den goldigen Hintergrund, warf Schatten auf den Tempel, bedeckte die Nebenpersonen, begrub sie in ihren toten Farben, und nun das Weiße des Bildes verschwand, ließ sie das Weib aus ihrem Juwelenbehang noch leuchtender heraustreten und sie noch nackter erscheinen.
Unwillkürlich hob er zu ihr das Auge empor, erkannte sie in ihren unvergeßlichen Umrissen, und sie wurde wieder lebendig und rief auf ihren Lippen die seltsamen und süßen Verse wach, die ihr Mallarmé eingibt.
Er liebte diese Verse, wie er die Werke dieses Dichters liebte, der im Jahrhundert des allgemeinen Wahlrechts und in einer Zeit der Geldgier abseits vom literarischen Wege lebte, geschützt durch seine Verachtung vor der ihn umgebenden Dummheit. Er gefiel sich, fern von dem Treiben der Welt in dem wechselnden Spiel des Verstandes, in den Visionen des Gehirns, indem er noch mit den schon an sich gekünstelten Gedanken jonglierte und ihnen byzantinische Lichterchen aufsetzte.
Von allen Formen der Literatur war die des Gedichts in Prosa die, die der Herzog am meisten liebte. Von einem Genie gehandhabt, mußte sie in ihrem kleinen Raum die Gewalt eines Romans, dessen zergliederte Längen und beschreibende unnütze Wiederholungen sie wegließ, einschließen.
Schon oft hatte der Herzog über das große Problem nachgegrübelt, einen Roman in wenige Sätze zusammengedrängt zu schreiben, die die kondensierte Last von Hunderten von Seiten enthielten. Dann würden die gewählten Worte an ihrem richtigen Platze stehn, so, daß man keins umstellen könnte.
Der auf diese Weise abgefaßte Roman, in eine oder zwei Seiten zusammengedrängt, wäre eine Gedankenübereinstimmung zwischen dem Dichter und dem idealen Leser, eine geistige Zusammenarbeit zwischen wenigen auserwählten Personen, die in der Welt zerstreut sind, ein nur wenigen Feinsinnigen zugänglicher Genuß.
Mit einem Wort, das Gedicht in Prosa stellte für den Herzog den Extrakt der Literatur, das Rückgrat der Kunst vor.
Dieser auf ein Minimum kondensierte Extrakt existierte schon bei Baudelaire und ebenfalls in den Gedichten von Mallarmé, den er mit tiefem Entzücken in sich sog.
Als er dieses letzte Buch zuklappte, sagte sich der Herzog, daß sich jetzt wohl seine Bibliothek nie mehr vermehren werde.